Apprentissage. Le cri d’alarme des centres de formation face aux futures mesures d’économie
Les représentants des centres de formation d’apprentis ont écrit au chef de l’État pour lui demander de réviser la baisse de financement liée à l’apprentissage.
Cinq organisations représentant les centres de formation d’apprentis (CFA) ont écrit, mardi 2 août, au chef de l’État pour lui demander de réaménager la coupe des financements décidée au début de l’été. Le 30 juin, France compétences, l’organisation de régulation et de financement de l’apprentissage, rattachée au ministère du Travail, avait annoncé une baisse « moyenne totale de l’ordre de 10 % » des « niveaux de prise en charge » de l’accompagnement d’un apprenti.
Les crédits alloués aux organismes de formation vont être réduits en deux temps, de 5 % à compter du 1er septembre, puis d’un montant qui devrait être équivalent à partir du 1er avril 2023. Entre 750 et 800 millions d’euros d’économies sont attendues.
730 000 apprentis
En 2021, la France comptait plus de 730 000 apprentis. Soit le double de 2018, année d’entrée en vigueur de la réforme de l’apprentissage. Pour les cinq organisations signataires de la lettre (la fédération nationale des directeurs de CFA, l’association des entreprises éducatives pour l’emploi, les acteurs de la compétence, la fédération nationale de l’enseignement privé, et Walt), « l’enjeu est de ne pas casser cette réforme qui fonctionne ».
Cette réforme a supprimé les obstacles juridiques ou administratifs auparavant nécessaires pour développer un CFA ou pour recruter un formateur, et a modifié le financement des CFA qui ne repose plus sur des subventions régionales complétant les versements des entreprises, mais sur un financement au contrat (environ 8 000 € par apprenti). Parallèlement, des primes exceptionnelles ont été instaurées en 2020 pour encourager les patrons qui embauchent ce type de main-d’œuvre.
Vers 5,9 milliards de déficit
Mais pour le gouvernement, des économies s’imposaient. Un rapport de la Cour des comptes du 23 juin 2022 épinglait le caractère « non financé » de la réforme. Cela a fait augmenter le coût moyen par apprenti d’au moins 17 % selon la Cour. « Le développement des effectifs d’apprentis, objectif affiché de la réforme, n’a pas été anticipé, pas plus que la croissance du coût unitaire par apprenti », déplore l’institution. Elle affirme que le coût total des dépenses d’apprentissage a doublé en 2021 à 11,3 milliards d’euros, dont 5,3 milliards de financement des CFA et 4 milliards d’aides exceptionnelles. Selon la Cour, le déficit de France Compétences pourrait grimper à 5,9 milliards cette année.
Des recrutements « perturbés »
Pour le gouvernement, d’après plusieurs évaluations conduites au cours des deux dernières années, les dotations dépassaient, en moyenne, de 20 % le coût des formations. Mais les représentants des CFA, affirment que la baisse globale annoncée va « fortement perturber la campagne de recrutement dès la rentrée », avec une baisse du nombre d’alternants, faute de rentabilité.
« En septembre, on a des CFA qui vont voir leur chiffre d’affaires diminuer de 10-15 %, si on réduit le coût de prise en charge on a des écoles qui se posent sérieusement la question d’ouvrir ou non des cohortes ou des classes entières », affirme Yves Hinnekint, président de l’association Walt, signataire de la lettre adressée au Président.
Mais aussi, selon les représentants des CFA, cette baisse « cache en réalité, selon les formations, des disparités de traitements qui sont insupportables pour certaines sections et certains CFA ». Par exemple, près de 2 000 diplômes ou titres verraient leur prise en charge réduite de plus de 30 %. « Certaines baissent à deux chiffres concernent des formations conduisant à des métiers en pénurie », ajoutent les représentants. C’est le cas des aides-soignants, des électriciens, des charcutiers ou des maçons.
Contre-propositions
Deux contre-propositions sont faites dans la lettre adressée à Emmanuel Macron : soit plafonner à 10 % la variation du niveau de prise en charge pour toutes les formations, au 1er septembre, soit différer au début de 2023 les évolutions recommandées par France compétences et « travailler d’ici-là sur la comptabilité analytique 2021 afin de disposer de données plus robustes permettant des économies plus en adéquation avec la réalité ».
La Chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) s’accorde avec les représentants des CFA sur ce point. Joël Fourny, le président de CMA France, affirme : « Nous ne pouvons nous cantonner uniquement à des arbitrages budgétaires pris indépendamment d’une vision stratégique générale. Nous le savons, définir des nouveaux niveaux de prise en charge sur la base des coûts de formation 2020 et 2021 présente un risque majeur car ce sont des coûts biaisés marqués par des années Covid où les centres de formation ont connu notamment des périodes de formation à distance. De la même manière, raisonner de façon isolée, titre par titre ou diplôme par diplôme ne permet pas d’avoir une ligne stratégique forte pour l’avenir. »
En clair, pour les représentants des CFA, s’il n’est « plus possible de financer plus de 730 000 apprentis avec le même budget qu’en 2018 », la solution serait d’augmenter le financement. « Il faut voir ça comme un investissement sur notre jeunesse plus que comme un centre de coûts », défend Yves Hinnekint, dont l’association est à l’origine d’une étude sur la rentabilité de l’apprentissage pour les finances publiques.
« Un principe d’égalité de traitement »
Des « recommandations correctives » peuvent être prises, a assuré Stéphane Lardy, le directeur général de France compétences, dans un entretien publié le 29 juillet par l’agence de presse AEF. Elles auraient lieu « selon un principe d’égalité de traitement », durant l’automne. Le gouvernement rappelle aussi que sur l’ensemble des niveaux de prise en charge pour les formations existantes, 46 % enregistrent une diminution, mais 29 %, à l’inverse, sont orientés à la hausse.
Dans un entretien paru lundi 8 août dans Les Échos, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a annoncé que le budget de l’Emploi progressera de 6,7 milliards d’euros en 2023, « afin notamment de financer la montée en puissance de l’apprentissage, avec un objectif de 1 million d’apprentis d’ici à la fin du quinquennat ».
Source : Ouest France du 11/08/2022