L’année 2020 aura été particulière à bien des égards. La Covid a notamment engendré une surinflation législative aiguë. Par ailleurs, l’exercice de la négociation collective de branche s’est poursuivi, à un rythme soutenu, bousculé par les injonctions de négocier, d’une part, et les freins mis à la reconnaissance des accords conclus, d’autre part.

Pour rappel, le système français oblige au respect d’une procédure d’extension afin que les accords de branche puissent
disposer d’une pleine portée juridique. Cette procédure d’extension – diligentée par les services de l’Etat – a connu ces dernières années un allongement préjudiciable pour les salariés et leurs représentants. L’exercice d’extension des accords de branche a connu une aggravation des défaillances, et des retards sur certains accords collectifs conséquents.

L’année 2020 nous a ainsi offert un florilège, dont les quelques exemples, ci-après, ne sauraient être exhaustifs. Ces exemples illustrent la confusion des temps, et comment l’Etat s’approprie les accords collectifs, et porte atteinte à la politique contractuelle. Nous espérons qu’ils vous feront autant sourire qu’ils nous ont désespérés…

Une mesure du temps à géométrie variable

Depuis plusieurs mois, les Fédérations FO – avec l’appui de la Confédération – alertent l’Etat sur les dysfonctionnements de ses services et notamment sur l’extension des accords collectifs de branche. Ainsi, lors de la réunion de rentrée (septembre 2020) d’examen des accords de branche, les services de l’Etat ont échangé sur un accord relatif au régime de prévoyance dans la branche des personnels salariés des cabinets d’avocats conclu le 20 octobre 2017 (et déposé auprès des services de l’Etat le 21 décembre 2017), soit près de trois années après sa conclusion. En termes de « prévoyance », nous avons connu mieux…

Lors de la dernière réunion (décembre 2020), les services de l’Etat ont échangé sur un accord relatif au congé de formation économique, sociale et syndicale conclu dans la branche du travail temporaire le 21 juillet 2017 et déposé le 18 novembre 2017. Las ! Les interlocuteurs sociaux de la branche ont depuis négocié, conclu et déposé auprès des services de l’Etat un nouvel accord sur ce thème… En outre, ce nouvel accord a fait l’objet d’un arrêté d’extension paru au Journal Officiel (JO) et pour lequel notre organisation a adressé à la Direction Générale du Travail (DGT) un courrier. En effet, cet arrêté a pour objet d’étendre un avenant sans que l’accord auquel il se raccroche n’ait encore fait l’objet d’un examen relatif à l’extension… Comme l’indique LA BRUYERE, « Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à se plaindre de sa brièveté… »

Lors d’une réunion le 19 mai 2020, les services de l’Etat ont échangé sur un accord relatif à l’Opérateur Paritaire Collecteur Agréé (OPCA) FAF-TT dans la branche du travail temporaire, conclu le 13 juillet 2018 et déposé le 6 octobre. A la suite de la réforme de la formation et de la volonté de l’Etat de rapprochement des OPCA et de leur transformation en Opérateur de Compétences (OPCO), le FAF-TT a cessé d’exister au 1er janvier 2020, les nouvelles actions de formation étant prises en charge par un nouvel OPCO à compter d’avril 2019. Les services de l’Etat ont décidé de refuser l’extension de l’accord régulièrement formé, et qui avait produit des effets jusqu’à la dissolution de l’OPCA. Cette absence d’extension – motivée par une étude tardive des services de l’Etat – ouvre des brèches juridiques qui peuvent être mobilisées par des entreprises indélicates mais bien conseillées. L’Etat ne se comporte plus alors comme le garant de la solidité de l’architecture juridique, mais comme un sapeur dont le génie laisse à désirer…

Cet allongement du temps d’extension constitue une tendance lourde, préexistante à la crise sanitaire. De longue date, et pour remédier aux conséquences les plus graves de ces défaillances, l’Etat a instauré des procédures accélérées, en particulier s’agissant des accords de branche relatifs aux Salaires Minima Hiérarchiques (SMH). Les exemples de défaillances seraient nombreux à citer. C’est ainsi, par exemple, que l’avenant n° 68 du 19 novembre 2019 relatif à la grille des salaires dans les études d’huissiers demeure en cours d’extension, alors qu’il est applicable depuis le 1er janvier 2020…

Par ailleurs, confronté à des défaillances toujours plus nombreuses, l’Etat a multiplié les procédures accélérées dérogatoires. Il a tenu ses engagements s’agissant des accords ayant pour effet d’octroyer aux employeurs la possibilité d’imposer aux salariés la prise de jours de congés payés et de récupération du temps de travail. Il n’a pas tenu ses engagements en matière d’extension des accords ayant pour thème la ProA, un dispositif de formation ayant pour finalité la promotion sociale des salariés. Ayant indiqué un délai d’extension de 15 jours à compter du dépôt de l’accord, aucun accord conclu sur ce thème n’a été étendu dans ce délai. Certes, un arrêté publié au JO du 20 novembre 2020 a annoncé l’extension d’un accord sur ce thème en date du 9 décembre 2020… Mais il s’agissait d’un accord du 9 décembre 2019 et notre organisation a dû demander un arrêté rectificatif (toujours en attente) afin que l’accord puisse enfin être étendu.

Ces quelques exemples parmi de trop nombreux illustrent une procédure d’extension sclérosée. Les raisons sont nombreuses et – parmi celles-ci – une volonté des services de l’Etat d’intervenir de manière proactive sur des accords pour lesquels ils peinent déjà à assurer le service minimal. C’est ainsi que la DGT a élaboré une nouvelle doctrine s’agissant des clauses des accords de branche, et notamment s’agissant de l’existence formelle d’une clause relative aux entreprises de moins de 50 salariés. Elle a également élaboré une doctrine – hors sol mais c’est un autre sujet – s’agissant des salaires minima hiérarchiques. Ces ambitions ont pour effet d’allonger encore la procédure d’extension, et de multiplier les incidents.

Or, dès lors que l’Etat nourrit une suspicion sur un accord collectif, cela a d’abord pour effet de retarder son examen de manière considérable. Concrètement, l’accord passe en bas de la pile des accords à analyser et se trouve parfois happé par un trou noir dont il ne ressort jamais. Est difficilement ressorti l’accord déjà relatif au congé de formation économique, sociale et syndicale conclu en 2017 dans la branche du travail temporaire. La branche avait décidé de la mutualisation des fonds collectés auprès des entreprises afin de permettre la solvabilisation de ce congé dans toutes les entreprises et notamment de permettre une portabilité de ce droit à congé. Elle avait, à cette fin, décidé qu’aucun accord d’entreprise ou d’établissement dérogatoire ne pourrait diminuer les droits et obligations nés de cet accord. L’Etat, s’appuyant sur une interprétation du droit issu des ordonnances MACRON, avait pré-estimé que cette interdiction de déroger par accord d’entreprise pouvait être incompatible avec le code du travail. Avant même d’échanger des arguments, les services de l’Etat ont donc différé l’examen de cet accord collectif, le laissant dans les limbes administratives durant trois ans… Jusqu’à ce qu’un autre accord collectif de branche reprenne son contenu et que l’Etat se décide à étudier l’accord destiné à être abrogé par cet accord postérieur…

Ensuite, cela a parfois pour effet de vicier un accord qui était parfaitement légal, l’environnement juridique ayant totalement évolué lorsque l’Etat reprendra l’examen de l’accord. L’accord se trouve alors transfiguré, les prévisions des interlocuteurs sociaux infirmées. Le temps d’après balaye celui d’avant, et les jours heureux attendent meilleure fortune. En attendant des illustrations dans le prochain JEC, la Section des Services adresse, à chaque camarade, ses meilleurs vœux de conquête des jours heureux pour l’année 2021.

Nicolas FAINTRENIE

Secrétaire de Section

Tél. : 01 48 01 91 34

services@fecfo.fr

Voir l’extrait du JEC

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